28 octobre 2005

Un autre rêve que j'ai réussi à retenir. J'étais un homme mais je n'étais pas moi. Une femme m'a approché (ou a été approchée par moi, je ne sais plus). Avec elle, j'ai partagé un fruit mauve. Le soleil se couchait. La peur montait lentement dans mon torse, elle me souriait sinistrement, et a dit: "Ne regarde pas en bas. Donne-moi ton sang."

C'est tout ce dont je me souviens.


* * *

Pour éviter de croiser des gens, je prends souvent les escaliers. Bien rares sont les fois où j'y croise quelqu'un. L'écho de mes souliers sur les marches métalliques, mon souffle qui s'accélère de façon proportionnelle à la cadence de ma propulsion vers le haut... c'est tout ce que j'entends. Un petit oasis de silence dans les entrailles de la Citadelle. Parfois, même, je m'y assois quelques minutes, le temps de reprendre mon souffle ou de calmer mon trouble.


Mais ce matin on m'attendait à un certain endroit à une certaine heure, et j'étais presque en retard alors j'ai opté pour l'élévateur. Comme toujours, la cage était pleine à craquer. Moi je devais me rendre tout en haut, alors j'avais le loisir d'examiner les autres passagers.


Des idéateurs jeunes et ambitieux, nous éblouissant avec cette carte d'affaire qu'est leur sourire; des Responsables de la Surveillance, vulgaires et bedonnants, parlant fort et faisant preuve de violence grammaticale; un mécano que je croise souvent, homme tout petit et vaguement difforme; deux femmes dans la quarantaine en train de comparer leurs maladies et de se conseiller des médicaments; d'autres que je ne pouvais pas regarder, tant il y avait de monde. Lentement, la cage déversait sa petite dose de chair humaine à chacun des étages où elle s'arrêtait, et l'espace clos se libérait. C'est alors que j'ai aperçu un type que je connaissais bien pour l'avoir côtoyé dans le cadre de mes fonctions il y a plusieurs mois. Il m'a regardé, je m'apprêtais à le saluer, mais me suis retenu de le faire en constatant le détournement de ses yeux, le sérieux de sa bouche. Cet homme était préoccupé, et n'était nullement disposé à m'adresser la parole. J'ai accepté la chose sans ressentiment. Jadis je lui avais rendu service, et pendant quelques temps il avait été chaleureux et cordial à mon égard, mais c'était déjà derrière nous. Tout était maintenant retourné dans l'ordre, cet homme important ne me devait plus rien. Case closed.


Quelques heures plus tard, je me retrouve à la Chic Cantine pour le Festin d'Adieu d'une collègue. On ne sait pas exactement pourquoi elle quitte, mais dans ses yeux on devine la fatigue, le ras-le-bol. Assis au bout de la table, je mange dans le silence, écoutant les mauvaises blagues et les discussions auxquelles il me serait impossible de participer, même si je le voulais, tellement c'est loin de moi. Je bois cette bière qui m'a été servie; à la surface, les bulles me semblent être des yeux d'araignées. Je la cale le plus rapidement possible, n'étant plus capable de les supporter. Les araignées me hantent, depuis quelques temps...


Un matin de la semaine dernière, la circulation piétonnière avait été détournée dans une Division que je traverse normalement pour parvenir à mon lieu de travail. J'avais donc pris un chemin alternatif, me trouvant à emprunter un couloir peu fréquenté, éclairé mais avec moins d'éclat. Je pouvais y voir des bobines de câbles électriques, des machines non-identifiées. Je m'étais arrêté pour rattacher mon lacet. Quand je me suis remis en marche la manche de ma chemise s'est prise dans une aspérité métallique et acérée qui dépassait d'une de ces machines. Le tissu s'est déchiré au niveau de mon coude. Regardant le trou, j'ai été consterné d'y voir la mince épaisseur d'une substance blanche. Faisant quelques pas pour inspecter la chose à la lumière d'une ampoule, j'ai vu qu'il s'agissait de toiles d'araignées finement tissée, et insérée dans la doublure de ma chemise de travail. Je pouvais la défaire et l'étirer. La raison aurait dit: "Il s'agit d'un type de fibre synthétique destinée à mieux isoler le corps." Mais je n'étais pas dupe. Dégoûté, j'ai enlevé cette chemise et je l'ai laissé tomber sur le sol de ce couloir désert.


Quelques jours plus tard, buvant mon café, j'ai senti quelque chose chatouiller ma lèvre supérieure. Inspectant le contenu de ma tasse à moitié bue, j'ai trouvé le corps inerte d'une araignée velue. Je n'ai pas été capable de boire le reste.


Et puis hier, alors qu'après le repas du soir je donnais le bain à mon petit garçon, j'ai aperçu sur son dos nu une autre de ces arachnides. Sans rien dire, je l'ai fait tomber dans l'eau et puis en ai disposé, sans que mon garçon ne voit quoi que ce soit. Et puis maintenant ces yeux, à la surface de ma bière...


* * *

Le soir venu, mes enfants et ma Compagne endormis, je suis assis sur le plancher et je tremble. Je suis terrifié à l'idée de dormir. Si ces araignées me traquent et m'atteignent pendant mon sommeil...


C'est là que mes yeux se posent sur le Visage...




"Tu peux dormir," semble-t-il me dire. "Repose-toi. Nous veillons sur toi."

Je m'étends sur le plancher, mon nez à deux doigts du Visage, et je me laisse aller à cette Perte de Conscience journalière.

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