30 mai 2006

J'ai bien essayé. Garder mes yeux vers l'Avant. Ignorer tout ce qui n'est pas sous la Juridiction du Triumvirat de mes Missions Concentriques.

Trois Missions. D'abord, la Mission Spirituelle: la Recherche d'Ellivret Sam (ce qu'il en reste) dans un premier temps, et puis --- par mon action d'émergence élaboratrice --- tenter de recréer les portions disparues ou détruites de cette Ville Mythique.

Voilà pour la première Mission.

La deuxième, la Mission Humaine, en partenariat amoureux avec ma Compagne: l'encadrement, le support et l'amour de mes deux (bientôt trois) enfants. Constituer une bulle opaque et protectrice où l'on peut discrètement défier toutes les règles, à commencer par la plus tyrannique: VOUS AIMEREZ la CITADELLE, AVANT et AU DESSUS de TOUT.

Maintenir ce havre de paix, de lenteur et d'acceptation.

Voilà pour la deuxième.

Finalement, la Mission de Servitude: offrir la quasi totalité des heures de ma vie à la commotion inéluctable, machinale et perpétuelle de cette Toute-Puissance qu'est la Citadelle, en échange de quoi elle m'accorde le droit à une existence autonome et plus-ou-moins confortable.


J'ai essayé de ne m'en tenir qu'à ces trois Missions, de conserver mon énergie, de me dissiper le moins possible pour progresser dans la première, conserver la deuxième, et minimiser la troisième. Et ça fonctionnait relativement bien.

Mais voilà que les Visages sont revenus.

À commencer par lui (ou devrais-je dire "elle"?):



Sur le bord d'un conduit d'aération, minuscule mais irréfutable, il s'impose à moi avec autant d'insistance que si --- comme le font mes enfants --- il s'agrippait à ma jambe avec ses deux bras.


"Que me veux-tu? Que me voulez-vous, encore?"

Pas de réponse. Évidemment. À peine un petit murmure du système de climatisation, quelque chose qui semble me dire: "Chut..."


Ils s'opposent donc à la Verbalisation, la leur, la mienne.

Puisque c'est comme ça...

Je prends le stylo gris qui m'a été donné le jour de mon entrée dans les Rangs de la Cohorte Travailleuse (instrument d'écriture laid et bureaucratique que j'ai tant de fois plié à des envolées littéraires qui lui sont tellement contre-nature), et --- directement en dessous du satané Visage --- j'inscris:


Puisque vous semblez
être là pour rester,
il ne me reste plus
qu'à faire de vous
autre chose que des
Parasites.

(La forme poétique est ici un hasard, découlant de la contrainte spatiale du mur où j'ai écrit cette phrase.)

Les voilà avertis. La récupération par l'imaginaire n'est jamais au-dessus de mes forces, puisque ça fait partie de ce que je suis; c'est mon premier et plus fidèle mécanisme de survie.

J'aurai essayé de me soustraire à la distraction continuelle des Visages; ça n'a pas marché. Je me remets donc à l'écriture en pensant à cette phrase, lue il y a longtemps dans un livre dont j'ai oublié le titre et l'auteur: "Il faut se servir de ce qui nous accable pour vaincre l'accablant."

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