Nous sommes séparés les uns des autres par des cloisons diverses, de temps, d'espace, d'horaire.
Mon ami Jénouaie travaille à plusieurs niveaux au dessus de moi dans la Citadelle, là où je n'ai que rarement la permission de me rendre; nous n'avons donc plus l'occasion de nous voir, de nous parler. Il en est de même pour ma sœur, qui elle se promène constamment, s'occupant d'éclairer les Couronnements, les Dévoilements, les Prestations officielles des Bardes et des Amuseurs Publics. Mon amie Brigitte, elle, s'est enfuie de la Citadelle, habite un lointain pays du Sud, aidant les populations pauvres. Mon père, malade et trop vieux pour entreprendre un autre Reconditionnement de Compétences, va et vient entre ses quartiers dans une section prisée de la Citadelle, et sa petite cabane, en dehors des Murs, où il se subvient à lui-même, filtrant l'eau de la pluie, canalisant l'énergie du soleil, et entretenant un potager bien garni. Ma mère, elle, encore capable de travailler, est (comme moi, comme ma sœur) accaparée d'une charge de travail qui élimine presque complètement la possibilité d'une vie familiale ou sociale.
Je les vois à l'occasion, quand j'en ai la permission.
Ma Compagne, mes enfants, bien que vivant dans les mêmes quartiers que moi, me sont presque tout aussi interdits. Je ne peux les voir que quelques minutes par jour quand je suis dans un Cycle de Production, ou quelques heures quand on nous accorde une sortie (intra- ou parfois extra- murale).
On nous a imposé la vie de Couple pour que l'on fasse des enfants, qui éventuellement viendront se joindre à la Masse Travailleuse. Heureusement (et c'est presque un acte hérétique de ma part), je les aime. Je les aime. Je le dis à qui veut bien l'entendre, aux Visages, aux Autorités, à tout le monde: je les aime. Et si un jour je trouve le moyen de me soustraire à la Vigilance Suprême je vais les emmener avec moi et vivre comme mon père.
03 octobre 2005
Chapitre 10.
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